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Переводы русской литературы
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ACTE QUATRIÈME


Tableau 6

Tableau 7

Tableau 8

Tableau 9


SIXIÈME TABLEAU

DEVANT LE RIDEAU



[Entrent Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, le Chat, le Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait.]

LA LUMIÈRE

J'ai reçu un petit mot de la Fée Bérylune qui m'apprend que l'Oiseau-Bleu se trouve probablement ici....

TYLTYL

Où ça?...

LA LUMIÈRE

Ici, dans le cimetière qui est derrière ce mur.... Il paraît qu'un des morts de ce cimetière le cache dans la tombe.... Reste à savoir lequel.... Il faudra qu'on les passe en revue....

TYLTYL

En revue?... Comment qu'on fera?...

LA LUMIÈRE

C'est bien simple: à minuit, pour ne pas trop les déranger, tu tourneras le Diamant. On les verra sortir de terre; ou bien on apercevra au fond de leurs tombes ceux qui ne sortent pas....

TYLTYL

Ils ne seront pas fâchés?...

LA LUMIÈRE

Nullement, ils ne s'en douteront même pas.... Ils n'aiment pas qu'on les dérange; mais comme de toutes façons ils ont coutume de sortir à minuit, cela ne les gênera pas....

TYLTYL

Pourquoi que le Pain, le Sucre et le Lait sont si pâles et pourquoi qu'ils ne disent rien?...

LE LAIT, [chancelant.]

Je sens que je vais tourner....

LA LUMIÈRE, [bas, à Tyltyl.]

Ne fais pas attention.... Ils ont peur des morts..

LE FEU, [gambadant.]

Moi, je n'en ai pas peur!... J'ai l'habitude de les brûler.... Dans les temps, je les brûlais tous; c'était bien plus amusant qu'aujourd'hui....

TYLTYL

Et pourquoi Tylô tremble-t-il?... Est-ce qu'il a peur aussi?

LE CHIEN, [claquant des dents.]

Moi?... Je ne tremble pas!... Moi, je n'ai jamais peur; mais si tu t'en allais, je m'en irais aussi....

TYLTYL

Et la Chatte ne dit rien?...

LA CHATTE, [mystérieuse.]

Je sais ce que c'est....

TYLTYL, [à la Lumière.]

Tu viendras avec nous?...

LA LUMIÈRE

Non, il est préférable que je reste à la porte du cimetière avec les Choses et les Animaux.... L'heure n'est pas venue.... La Lumière ne peut pas encore pénétrer chez les morts.... Je vais te laisser seul avec Mytyl....

TYLTYL

Et Tylô ne peut pas rester avec-nous?...

LE CHIEN

Si, si, je reste, je reste ici.... Je veux rester près de mon petit dieu!...

LA LUMIÈRE

C'est impossible.... L'ordre de la Fée est formel; du reste, il n'y a rien à craindre....

LE CHIEN

Bien, bien, tant pis.... S'ils sont méchants, mon petit dieu, tu n'as qu'à faire comme ça [il siffle.] et tu verras.... Ce sera comme dans la forêt: Wa! Wa! Wa!...

LA LUMIÈRE

Allons, adieu, mes chers petits.... Je ne serai pas loin.... [Elle embrasse les enfants.] Ceux qui m'aiment et que j'aime me retrouvent toujours.... [Aux Choses et aux Animaux.] Vous autres.... par ici.

[Elle sort avec les Choses et les Animaux. Les enfants restent seuls au milieu de la scène. Le rideau s'ouvre pour découvrir le septième tableau.]



SEPTIÈME TABLEAU

LE CIMETIÈRE

Il fait nuit. Clair de lune. Un cimetière de campagne. Nombreuses tombes, tertres de gazon, croix de bois, dalles funéraires, etc.



[Tyltyl et Mytyl sont debout près d'un cippe.]

MYTYL

J'ai peur.

TYLTYL, [assez peu rassuré.]

Moi, je n'ai jamais peur....

MYTYL

C'est méchant, les morts, dis?..

TYLTYL

Mais non, puisqu'ils ne vivent pas....

MYTYL

Tu en as déjà vu?...

TYLTYL

Oui, une fois, dans le temps, lorsque j'étais très jeune....

MYTYL

Comment c'est fait, dis?...

TYLTYL

C'est tout blanc, très tranquille et très froid, et ça ne parle pas....

MYTYL

Nous allons les voir, dis?...

TYLTYL

Bien sûr, puisque la Lumière l'a promis....

MYTYL

Où c'est qu'ils sont, les morts?...

TYLTYL

Ici, sous le gazon ou sous ces grosses pierres.

MYTYL

Ils sont là toute l'année?...

TYLTYL

Oui.

MYTYL, [montrant les dalles.]

C'est les portes de leurs maisons?...

TYLTYL

Oui.

MYTYL

Est-ce qu'ils sortent quand il fait beau?...

TYLTYL

Ils ne peuvent sortir qu'à la nuit....

MYTYL

Pourquoi?...

TYLTYL

Parce qu'ils sont en chemise....

MYTYL

Est-ce qu'ils sortent aussi quand il pleut?.

TYLTYL

Quand il pleut, ils restent chez eux....

MYTYL

C'est beau chez eux, dis?...

TYLTYL

On dit que c'est fort étroit....

MYTYL

Est-ce qu'ils ont des petits enfants?...

TYLTYL

Bien sûr; ils ont tous ceux qui meurent....

MYTYL

Et de quoi vivent-ils?...

TYLTYL

Ils mangent des racines....

MYTYL

Est-ce que nous les verrons?...

TYLTYL

Bien sûr, puisqu'on voit tout quand le Diamant est tourné.

MYTYL

Et qu'est-ce qu'ils diront?...

TYLTYL

Ils ne diront rien, puisqu'ils ne parlent pas....

MYTYL

Pourquoi qu'ils ne parlent pas?...

TYLTYL

Parce qu'ils n'ont rien à dire....

MYTYL

Pourquoi qu'ils n'ont rien à dire?...

TYLTYL

Tu m'embêtes....

[Un silence.]

MYTYL

Quand tourneras-tu le Diamant?...

TYLTYL

Tu sais bien que la Lumière a dit d'attendre à minuit, parce qu'alors on les dérange moins....

MYTYL

Pourquoi qu'on les dérange moins?...

TYLTYL

Parce que c'est l'heure où ils sortent prendre l'air.

MYTYL

Il n'est pas minuit?...

TYLTYL

Vois-tu le cadran de l'église?...

MYTYL

Oui, je vois même la petite aiguille....

TYLTYL

Et bien! minuit va sonner.... Là!... Tout juste.... Entends-tu?...

On entend sonner les douze coups de minuit.

MYTYL

Je veux m'en aller!...

TYLTYL

Ce n'est pas le moment.... Je vais tourner le Diamant....

MYTYL

Non, non!... Ne le fais pas!... Je veux m'en aller!... J'ai si peur, petit frère!... J'ai terriblement peur!...

TYLTYL

Mais il n'y a pas de danger....

MYTYL

Je ne veux pas voir les morts!... Je ne veux pas les voir!...

TYLTYL

C'est bon, tu ne les verras pas, tu fermeras les yeux....

MYTYL, [s'accrochant aux vêtements de Tyltyl.]

Tyltyl, je ne peux pas!... Non, ce n'est pas possible!... Ils vont sortir de terre!...

TYLTYL

Ne tremble pas ainsi.... Ils ne sortiront qu'un moment....

MYTYL

Mais tu trembles aussi, toi!... Ils seront effrayants!...

TYLTYL

Il est temps, l'heure passe....

[Tyltyl tourne le Diamant. Une terrifiante minute de silence et d'immobilité; après quoi, lentement, les croix chancellent, les tertres s'entr'ouvrent, les dalles se soulèvent.]

MYTYL, [se blottissant contre Tyltyl.]

Ils sortent!... Ils sont là!...

[Alors, de toutes les tombes béantes monte graduellement une floraison d'abord grêle et timide comme une vapeur d'eau, puis blanche et virginale et de plus en plus touffue, de plus en plus haute, surabondante et merveilleuse, qui peu à peu, irrésistiblement, envahissant toutes choses, transforme le cimetière en une sorte de jardin féerique et nuptial, sur lequel ne tardent pas à se lever les premiers rayons de l'aube. La rosée scintille, les fleurs s'épanouissent, le vent murmure dans les feuilles, les abeilles bourdonnent, les oiseaux s'éveillent et inondent l'espace des premières ivresses de leurs hymnes au soleil et à la vie. Stupéfaits, éblouis, Tyltyl et Mytyl, se tenant par la main, font quelques pas parmi les fleurs en cherchant la trace des tombes.]

MYTYL, [cherchant dans le gazon.]

Où sont-ils, les morts?...

TYLTYL, [cherchant de même.]

Il n'y a pas de morts....

RIDEAU



HUITIÈME TABLEAU

DEVANT LE RIDEAU QUI REPRÉSENTE DE BEAUX NUAGES

Entrent: Tyltyl, Mytyl, la Lumière, le Chien, la Chatte, le Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait.



LA LUMIÈRE

Je crois que cette fois nous tenons L'Oiseau-Bleu. J'aurais dû y penser dès la première étape.... Ce n'est que ce matin, en reprenant mes forces dans l'aurore, que l'idée m'est venue comme un rayon du ciel.... Nous sommes à l'entrée des jardins enchantés où se trouvent réunis sous la garde du Destin, toutes les Joies, tous les Bonheurs des Hommes....

TYLTYL

Il y en a beaucoup? Est-ce qu'on en aura? Est-ce qu'ils sont petits?...

LA LUMIÈRE

Il en est de petits et de grands, de gros et de délicats, de très beaux et d'autres qui sont moins agréables.... Mais les plus vilains furent, il y a quelque temps, expulsés des jardins et cherchèrent refuge chez les Malheurs. Car il faut remarquer que les Malheurs habitent un autre contigu, qui communique avec le jardin des Bonheurs et n'en est séparé que par une sorte de vapeur ou de rideau subtil que le vent qui souffle des hauteurs de la Justice ou du fond de l'Éternité soulève à chaque instant.... Maintenant, il s'agit de s'organiser et de prendre certaines précautions. En général, les Bonheurs sont fort bons, pourtant il en est quelques-uns qui sont plus dangereux et plus perfides que les plus grands Malheurs....

LE PAIN

J'ai une idée! S'ils sont dangereux et perfides, ne serait-il pas préférable que nous attendissions tous à la porte, afin d'être à même de prêter main-forte aux enfants s'ils étaient obligés de fuir?...

LE CHIEN

Pas du tout! pas du tout!... Je veux aller partout avec mes petits dieux!... Que tous ceux qui ont peur restent donc à la porte!... Nous n'avons pas besoin [Regardant le Pain]. de poltrons, [Regardant la Chatte] ni de traîtres....

LE FEU

Moi, j'y vais!... Il paraît que c'est amusant!... On y danse tout le temps....

LE PAIN

Est-ce qu'on y mange aussi?...

L'EAU, [gémissant.]

Je n'ai jamais connu le plus petit Bonheur!... Je veux en voir enfin!...

LA LUMIÈRE

Taisez-vous! Personne ne demande vos avis.... Voici ce que j'ai décidé: le Chien, le Pain et le Sucre accompagneront les enfants. L'Eau n'entrera pas, parce qu'elle est trop froide, ni le Feu qui est trop turbulent. J'engage vivement le Lait à rester à la porte, parce qu'il est trop impressionnable; quant à la Chatte, elle fera comme elle voudra....

LE CHIEN

Elle a peur!...

LA CHATTE

J'irai saluer en passant quelques Malheurs qui sont de vieux amis et habitent à côté des Bonheurs....

TYLTYL

Et toi, la Lumière, est-ce que tu ne viens pas?...

LA LUMIÈRE

Je ne peux pas entrer ainsi chez les Bonheurs; la plupart ne me supportent pas.... Mais j'ai ici le voile épais dont je me couvre quand je visite les gens heureux.... [Elle déplie un long voile dont elle s'enveloppe soigneusement.] Il ne faut pas qu'un rayon de mon âme les effraye, car il est beaucoup de Bonheurs qui ont peur et ne sont pas heureux.... Voilà, de cette façon, les moins jolis et les plus gros eux-mêmes n'auront plus rien à redouter....

[Le rideau s'ouvre pour découvrir le neuvième tableau.]



NEUVIÈME TABLEAU

LES JARDINS DES BONHEURS

Quand s'ouvre le rideau, on découvre, prise sur les premiers plans des jardins, une sorte de salle formée de hautes colonnes de marbre entre lesquelles, masquant tout le fond, sont tendues de lourdes draperies de pourpre que soutiennent des cordages d'or. Architecture rappelant les moments les plus sensuels et les plus somptueux de la Renaissance (vénitienne ou flamande Véronèse et Rubens). Guirlandes, cornes d'abondance, torsades, vases, statues, dorures prodigués de toutes parts.—Au milieu, massive et féerique table de jaspe et de vermeil, encombrée de flambeaux, de cristaux, de vaisselle d'or et d'argent et surchargée de mets fabuleux.—Autour de la table, mangent, boivent, hurlent, chantent, s'agitent, se vautrent ou s'endorment parmi les venaisons, les fruits miraculeux, les aiguières et les amphores renversées, les plus gros Bonheurs de la terre. Ils sont énormes, invraisemblablement obèses et rubiconds, couverts de velours et de brocarts, couronnés d'or, de perles et de pierreries. De belles esclaves apportent, sans cesse des plats empanachés et des breuvages écumiants.—Musique vulgaire, hilare et brutale où dominent les cuivres.—Une lumière lourde et rouge baigne la scène.



[Tyltyl, Mytyl, le Chien, le Pain et le Sucre, d'abord assez intimidés, se pressent, à droite, au premier plan, autour de la Lumière. La Chatte, sans rien dire, se dirige vers le fond, également à droite, soulève un rideau sombre et disparaît.]

TYLTYL

Qu'est-ce que ces gros messieurs qui s'amusent et mangent tant de bonnes choses?

LA LUMIÈRE

Ce sont les plus gros Bonheurs de la Terre, ceux qu'on peut voir à l'œil nu. Il est possible, bien qu'assez peu probable, que l'Oiseau-Bleu se soit un instant égaré parmi eux. C'est pourquoi ne tourne pas encore le Diamant. Nous allons, pour la forme, explorer tout 'd'abord cette partie de la salle.

TYLTYL

Est-ce qu'on peut s'approcher?

LA LUMIÈRE

Certainement. Ils ne sont pas méchants, bien que vulgaires et, d'habitude, assez mal élevés.

MYTYL

Qu'ils ont de beaux gâteaux!...

LE CHIEN

Et du gibier! et des saucisses! et des gigots d'agneau et du foie de veau!... [Proclamant.] Rien au monde n'est meilleur, rien n'est plus beau et rien ne vaut le foie de veau!...

LE PAIN

Excepté les Pains-de-quatre-livres pétris de fine fleur de froment! Ils en ont d'admirables!... Qu'ils sont beaux! qu'ils sont beaux!... Ils sont plus gros que moi!...

LE SUCRE

Pardon, pardon, mille pardons.... Permettez, permettez.... Je ne voudrais froisser personne; mais n'oubliez-vous pas les Sucreries qui sont la gloire de cette table et dont l'éclat et la magnificence surpassent, si j'ose m'exprimer ainsi, tout ce qu'il y a dans cette salle et peut-être en tout autre lieu....

TYLTYL

Qu'ils ont l'air contents et heureux!... Et ils crient! et ils rient! et ils chantent!... Je crois qu'ils nous ont vus....

[En effet, une douzaine des plus Gros Bonheurs se sont levés de table et s'avancent péniblement, en soutenant leur ventre, vers le groupe des enfants.]

LA LUMIÈRE

Ne crains rien, ils sont très accueillants.... Ils vont probablement t'inviter à dîner.... N'accepte pas, n'accepte rien, de peur d'oublier ta mission....

TYLTYL

Quoi? Pas même un petit gâteau? Ils ont l'air si bons, si frais, si bien glacés de sucre, ornés de fruits confits et débordants de crème!...

LA LUMIÈRE

Ils sont dangereux et briseraient ta volonté. Il faut savoir sacrifier quelque chose au devoir qu'on remplit. Refuse poliment mais avec fermeté. Les voici....

LE PLUS GROS DES BONHEURS, [tendant la main à Tyltyl.]

Bonjour, Tyltyl!...

TYLTYL, [étonné.]

Vous me connaissez donc?... Qui êtes-vous?...

LE GROS BONHEUR

Je suis le plus gros des Bonheurs, le Bonheur-d'être-riche, et je viens, au nom de mes frères, vous prier, vous et votre famille, d'honorer de votre présence notre repas sans fin. Vous vous trouverez au milieu de tout ce qu'il y a de mieux parmi les vrais et gros Bonheurs de de cette Terre. Permettez que je vous présente les principaux d'entre eux. Voici mon gendre, le Bonheur-d'être-propriétaire, qui a le ventre en poire. Voici le Bonheur-de-la-vanité-satisfaite, dont le visage est si gracieusement bouffi. [Le Bonheur-de-la-vanité-satisfaite salue d'un air protecteur.] Voici le Bonheur-de-boire-quand-on-n'a-plus-soif et le Bonheur-de-manger-quand-on-n'a-plus-faim, qui sont jumeaux et ont les jambes en macaroni. [Ils saluent en chancelant.] Voici le Bonheur-de-ne-rien-savoir, qui est sourd comme une limande, et le Bonheur-de-ne-rien-comprendre, qui est aveugle comme une taupe. Voici le Bonheur-de-ne-rien-faire et le Bonheur-de-dormir-plus-qu'il-n'est-nécessaire, qui ont les mains en mie de pain et les yeux en gelée de pêche. Voici enfin le Rire-Épais qui est fendu jusqu'aux oreilles et auquel rien ne peut résister....

[Le Rire-Épais salue en se tordant.]

TYLTYL, [montrant du doigt un Gros Bonheur qui se tient un peu à l'écart.]

Et celui-là, qui n'ose pas approcher et nous tourne le dos?...

LE GROS BONHEUR

N'insistez pas, il est un peu gêné et n'est pas présentable à des enfants.... [Saisissant les mains de Tyltyl.] Mais venez donc! On recommence le festin.... C'est la douzième fois depuis l'aurore. On n'attend plus que vous.... Entendez-vous tous les convives qui vous réclament à grands cris?... Je ne puis vous les présenter tous, ils sont extrêmement nombreux.... [Offrant le bras aux deux enfants.] Permettez que je vous conduise aux deux places d'honneur....

TYLTYL

Je vous remercie bien, monsieur le Gros Bonheur.... Je regrette vivement.... Je ne peux pas pour le moment.... Nous sommes très pressés, nous cherchons l'Oiseau-Bleu. Vous ne sauriez pas, par hasard, où il se cache?

LE GROS BONHEUR

L'Oiseau-Bleu?... Attendez donc.... Oui, oui, je me rappelle.... On m'en a parlé dans le temps.... C'est, je crois, un oiseau qui n'est pas comestible.... En tout cas, il n'a jamais paru sur notre table.... C'est vous dire qu'on le tient en médiocre estime.... Mais ne vous mettez pas en peine; nous avons tant d'autres choses bien meilleures.... Vous allez vous mêler à notre vie, vous verrez tout ce que nous faisons....

TYLTYL

Que faites-vous?

LE GROS BONHEUR

Mais nous nous occupons sans cesse à ne rien faire.... Nous n'avons pas une minute de repos.... Il faut boire, il faut manger, il faut dormir. C'est extrêmement absorbant....

TYLTYL

Est-ce que c'est amusant?

LE GROS BONHEUR

Mais oui.... Il le faut bien, il n'y a pas autre chose sur cette Terre....

LA LUMIÈRE

Croyez-vous?...

LE GROS BONHEUR, [indiquant du doigt la Lumière, bas, à Tyltyl.]

Quelle est cette jeune personne mal élevée?...

[Durant toute la conversation précédente, une foule de Gros Bonheurs de second ordre s'est occupée du Chien, du Sucre et du Pain, et les a entraînés vers l'orgie. Tyltyl aperçoit soudain ces derniers qui, attablés fraternellement avec leurs hôtes, mangent, boivent et se trémoussent follement.]

TYLTYL

Voyez donc, la Lumière!... Ils sont à table!...

LA LUMIÈRE

Rappelle-les! sinon cela finira mal!...

TYLTYL

Tylô!...Tylô! ici!... Veux-tu venir ici, tout de suite, entends-tu!... Et vous, là-bas, le Sucre et le Pain, qui donc vous a permis de me quitter?... Qu'est-ce que vous faites là, sans autorisation?...

LE PAIN, [la bouche pleine.]

Est-ce que tu ne pourrais pas nous parler plus poliment?...

TYLTYL

Quoi? C'est le Pain qui se permet de me tutoyer?... Mais qu'est-ce qui te prend?... Et toi, Tylô!... Est-ce ainsi qu'on obéit? Allons, viens ici, à genoux, à genoux!... Et plus vite que ça!...

LE CHIEN, [à mi-voix et du bout de la table.]

Moi, quand je mange, je n'y suis pour personne et je n'entends plus rien....

LE SUCRE, [mielleusement.]

Excusez-nous, nous ne saurions quitter ainsi, sans les froisser, d'aussi aimables hôtes....

LE GROS BONHEUR

Vous voyez!... Ils vous donnent l'exemple.... Venez, on vous attend.... Nous n'admettons pas de refus.... On vous fera une douce violence.... Allons, les Gros Bonheurs, aidez-moi!... Poussons-les de force vers la table, pour qu'ils soient heureux malgré eux!...

[Tous les Gros Bonheurs, avec des cris de joie et gambadant de leur mieux, entraînent les enfants qui se débattent, tandis que le Rire-Épais saisit vigoureusement la Lumière par la taille.]

LA LUMIÈRE

Tourne le Diamant, il est temps!...

[Tyltyl fait ce qu'ordonne la Lumière. Aussitôt la scène s'illumine d'une clarté ineffablement pure, divinement rosée, harmonieuse et légère. Les lourds ornements du premier plan, les épaisses tentures rouges se détachent et disparaissent, dévoilant un fabuleux et doux jardin de paix légère et de sérénité, une sorte de palais de verdure aux perspectives harmonieuses, où la magnificence des feuillages, puissants et lumineux, exubérants et néanmoins disciplinés, où l'ivresse virginale des fleurs et la fraîche allégresse des eaux qui coulent, ruissellent et jaillissent de toutes parts semblent entraîner jusqu'aux confins de l'horizon l'idée même de la félicité. La table de l'orgie s'effondre sans laisser de traces; les velours, les brocarts, les couronnes des Gros Bonheurs, au souffle lumineux qui envahit la scène, se soulèvent, se déchirent et tombent, en même temps que les masques hilares, aux pieds des convives abasourdis. Ceux-ci se dégonflent à vue d'œil, comme des vessies crevées, s'entre-regardent, clignotent sous les rayons inconnus qui les blessent, et, se voyant enfin tels qu'ils sont en vérité, c'est-à-dire nus, hideux, flasques et lamentables, se mettent à pousser des hurlements de honte et d'épouvante, parmi lesquels on distingue très nettement ceux du Rire-Épais qui dominent tous les autres. Seul le Bonheur-de-ne-rien-comprendre demeure parfaitement calme, tandis que ses collègues s'agitent éperdument, cherchent à fuir, à se cacher dans les coins qu'ils espèrent plus sombres. Mais il n'y a plus d'ombre dans le jardin éblouissant. Aussi la plupart se décident-ils à franchir, en désespoir de cause, le rideau menaçant qui, sur là droite, dans un angle, ferme la voûte de la caverne des Malheurs. A chaque fois que l'un d'eux, dans la panique, soulève un pan de ce rideau, on entend s'élever du creux de l'antre une tempête d'injures, d'imprécations et de malédictions. Quant au Chien, au Pain et au Sucre, l'oreille basse, ils rejoignent le groupe des enfants, et, très penauds, se dissimulent derrière eux.]

TYLTYL, [regardant fuir les Gros Bonheurs.]

Dieu qu'ils sont laids!... Où vont-ils?...

LA LUMIÈRE

Ma foi, je crois qu'ils ont perdu la tête.... Ils vont se réfugier chez les Malheurs où je crains fort qu'on ne les retienne définitivement....

TYLTYL, [regardant autour de soi, émerveillé.]

Oh! le beau jardin, le beau jardin!... Où sommes-nous?...

LA LUMIÈRE

Nous n'avons pas changé de place; ce sont tes yeux qui ont changé de sphère.... Nous voyons à présent la vérité des choses; et nous allons apercevoir l'âme des Bonheurs qui supportent la clarté du Diamant.

TYLTYL

Que c'est beau!... Qu'il fait beau!... On se croirait en plein été.... Tiens! on dirait qu'on s'approche et qu'on va s'occuper de nous....

[En effet, les jardins commencent à se peupler de formes angéliques qui semblent sortir d'un long sommeil et glissent harmonieusement entre les arbres. Elles sont vêtues de robes lumineuses, aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose, sourire d'eau, azur d'aurore, rosée d'ambre, etc.... ]

LA LUMIÈRE

Voici que s'avancent quelques Bonheurs aimables et curieux qui vont nous renseigner....

TYLTYL

Tu les connais?...

LA LUMIÈRE

Oui, je les connais tous; je viens souvent chez eux, sans qu'ils sachent qui je suis....

TYLTYL

Il y en a, il y en a!... Ils sortent de tous côtés!...

LA LUMIÈRE

Il y en avait beaucoup plus dans le temps. Les Gros Bonheurs leur ont fait bien du tort.

TYLTYL

C'est égal, il en reste pas mal....

LA LUMIÈRE

Tu en verras bien d'autres, à mesure que l'influence du Diamant se répandra parmi les jardins.... On trouve sur la Terre beaucoup plus de Bonheurs qu'on ne croit; mais la plupart des Hommes ne les découvrent point....

TYLTYL

En voici de petits qui s'avancent, courons à leur rencontre....

LA LUMIÈRE

C'est inutile; ceux qui nous intéressent passeront par ici. Nous n'avons pas le temps de faire la connaissance de tous les autres....

[Une bande de Petits Bonheurs, gambadant et riant aux éclats, accourt du fond des verdures et danse une ronde autour des enfants.]

TYLTYL

Qu'ils sont jolis, jolis!... D'où viennent-ils, qui sont-ils?...

LA LUMIÈRE

Ce sont les Bonheurs des enfants....

TYLTYL

Est-ce qu'on peut leur parler?...

LA LUMIÈRE

C'est inutile. Ils chantent, ils dansent, ils rient, mais ils ne parlent pas encore....

TYLTYL, frétillant.

Bonjour! Bonjour!... Oh! le gros, là, qui rit!... Qu'ils ont de belles joues, qu'ils ont de belles robes!... Ils sont tous riches ici?...

LA LUMIÈRE

Mais non, ici comme partout, il y a bien plus de pauvres que de riches....

TYLTYL

Où sont les pauvres?...

LA LUMIÈRE

On ne peut pas les distinguer.... Le Bonheur d'un enfant est toujours revêtu de ce qu'il y a de plus beau sur terre et dans les cieux.

TYLTYL, [ne tenant plus en place.]

Je voudrais danser avec eux....

LA LUMIÈRE

C'est absolument impossible, nous n'avons pas le temps.... Je vois qu'ils n'ont pas l'Oiseau-Bleu.... Du reste, ils sont pressés, tu vois, ils sont déjà passés.... Eux non plus n'ont pas de temps à perdre, car l'enfance est très brève....

[Une autre bande de Bonheurs, un peu plus grands que les précédents, se précipite dans le jardin, et chantant à tue-tête: «Les voilà! les voilà! Ils nous voient! Ils nous voient!...» danse autour des enfants une joyeuse farandole, à la fin de laquelle, celui qui paraît être le chef de la petite troupe s'avance vers Tyltyl en lui tendant la main.]

LE BONHEUR

Bonjour, Tyltyl!...

TYLTYL

Encore un qui me connaît!... [A la Lumière.] On commence à me connaître un peu partout.... Qui es-tu?...

LE BONHEUR

Tu ne me reconnais pas?... Je parie que tu ne reconnais aucun de ceux qui sont ici?...

TYLTYL, [assez embarrassé.]

Mais non.... Je ne sais pas.... Je ne me rappelle pas vous avoir vus....

LE BONHEUR

Vous entendez?... J'en étais sûr!... Il ne nous a jamais vus!... [Tous les autres Bonheurs de la bande éclatent de rire.] Mais, mon petit Tyltyl, tu ne connais que nous!... Nous sommes toujours autour de toi!... Nous mangeons, nous buvons, nous nous éveillons, nous respirons, nous vivons avec toi!...

TYLTYL

Oui, oui, parfaitement, je sais, je me rappelle.... Mais je voudrais savoir comment on vous appelle....

LE BONHEUR

Je vois bien que tu ne sais rien.... Je suis le chef des Bonheurs-de-ta-maison; et tous ceux-ci sont les autres Bonheurs qui l'habitent....

TYLTYL

Il y a donc des Bonheurs à la maison?...

[Tous les Bonheurs éclatent de rire.]

LE BONHEUR

Vous l'avez entendu!... S'il y a des Bonheurs dans ta maison!... Mais, petit malheureux, elle en est pleine à faire sauter les portes et les fenêtres!... Nous rions, nous chantons, nous créons de la joie à refouler les murs, à soulever les toits; mais nous avons beau faire, tu ne vois rien, tu n'entends rien.... J'espère qu'à l'avenir tu seras un peu plus raisonnable.... En attendant, tu vas serrer la main aux plus notables.... Une fois rentré chez toi, tu les reconnaîtras ainsi plus facilement.... Et puis, à la fin d'un beau jour, tu sauras les encourager d'un sourire, les remercier d'un mot aimable, car ils font vraiment tout ce qu'ils peuvent pour te rendre la vie légère et délicieuse.... Moi d'abord, ton serviteur, le Bonheur-de-se-bien-porter.... Je ne suis pas le plus joli, mais le plus sérieux. Tu me reconnaîtras?... Voici le Bonheur-de-l'air-pur, qui est à peu près transparent.... Voici le Bonheur-d'aimer-ses-parents, qui est vêtu de gris et toujours un peu triste, parce qu'on ne le regarde jamais.... Voici le Bonheur-du-ciel-bleu, qui est naturellement vêtu de bleu; et le Bonheur-de-la-forêt qui, non moins naturellement, est habillé de vert, et que tu reverras chaque fois que tu te mettras à la fenêtre.... Voici encore le bon Bonheur-des-heures-de soleil qui est couleur de diamant, et celui du-Printemps qui est d'émeraude folle....

TYLTYL

Et vous êtes aussi beaux tous les jours?...

LE BONHEUR

Mais oui, c'est tous les jours dimanche, dans toutes les maisons, quand on ouvre les yeux.... Et puis, quand vient le soir, voici le Bonheur-des-couchers-de-soleil, qui est plus beau que tous les rois du monde; et que suit le Bonheur-devoir-se-lever-les-étoiles, doré comme un dieu d'autrefois.... Puis, quand il fait mauvais, voici le Bonheur-de-la-pluie qui est couvert de perles, et le Bonheur-du-feu-d'hiver qui ouvre aux mains gelées son beau manteau de pourpre.... Et je ne parle pas du meilleur de tous, parce qu'il est presque frère des grandes Joies limpides que vous verrez bientôt, et qui est le Bonheur-des-pensées-innocentes, le plus clair d'entre nous.... Et puis, voici encore.... Mais vraiment, ils sont trop!... Nous n'en finirions pas, et je dois prévenir d'abord les Grandes-Joies qui sont là-haut, au fond, près des portes du ciel, et ne savent pas encore que vous êtes arrivés.... Je vais leur dépêcher le Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée, qui est le plus agile.... [Au Bonheur qu'il vient de nommer et qui s'avance en faisant des cabrioles.] Va!...

[A ce moment, une sorte de diablotin en maillot noir, bousculant tout le monde en poussant des cris inarticulés, s'approche de Tyltyl, et gambade follement en l'accablant de nasardes, taloches et coups de pied insaisissables.]

TYLTYL, [ahuri et profondément indigné.]

Qu'est-ce que c'est que ce sauvage?

LE BONHEUR

Bon! c'est encore le Plaisir-d'être-insupportable qui s'est échappé de la caverne des Malheurs. On ne sait où l'enfermer. Il s'évade de partout, et les Malheurs eux-mêmes ne veulent plus le garder.

[Le diablotin continue de lutiner Tyltyl qui essaye vainement de se défendre, puis, soudain, riant aux éclats, disparaît sans raison, comme il était venu.]

TYLTYL

Qu'est-ce qu'il a? Il est un peu fou?

LA LUMIÈRE

Je ne sais. Il paraît que c'est ainsi que tu es toi-même lorsque tu n'es pas sage. Mais en attendant, il faudrait s'informer de l'Oiseau-Bleu. Il se peut que le chef des Bonheurs-de-ta-maison n'ignore pas où il se trouve....

TYLTYL

Où est-il?...

LE BONHEUR

Il ne sait pas où se trouve l'Oiseau-Bleu!...

[Tous les Bonheurs-de-la-maison éclatent de rire.]

TYLTYL, [vexé.]

Mais non, je ne sais pas.... Il n'y a pas de quoi rire....

[Nouveaux éclats de rires.]

LE BONHEUR

Voyons, ne te fâche pas.... et puis, soyons sérieux.... Il ne sait pas, que voulez-vous, il n'est pas plus ridicule que la plupart des Hommes.... Mais voici que le petit Bonheur-de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée a prévenu les Grandes-Joies qui s'avancent vers nous....

[En effet, les hautes et belles figures angéliques, vêtues de robes lumineuses, s'approchent lentement.]

TYLTYL

Qu'elles sont belles!... Pourquoi ne rient-elles pas?... Ne sont-elles pas heureuses?...

LA LUMIÈRE

Ce n'est pas quand on rit qu'on est le plus heureux....

TYLTYL

Qui sont-elles?...

LE BONHEUR

Ce sont les Grandes-Joies....

TYLTYL

Tu sais leurs noms?...

LE BONHEUR

Naturellement, nous jouons souvent avec elles.... Voici d'abord: devant les autres, la Grande-Joie-d'être-juste, qui sourit chaque fois qu'une injustice est réparée,—je suis trop jeune, je ne l'ai pas encore vu sourire. Derrière elle, c'est la Joie-d'être-bonne, qui est la plus heureuse, mais la plus triste; et qu'on a bien du mal à empêcher d'aller chez les Malheurs qu'elle voudrait consoler. A droite, c'est la Joie-du-travail-accompli à côté de la Joie-de-penser. Ensuite, c'est la Joie-de-comprendre qui cherche toujours son frère, le Bonheur-de-ne-rien-comprendre....

TYLTYL

Mais je l'ai vu, son frère!... Il est allé chez les Malheurs avec les Gros Bonheurs....

LE BONHEUR

J'en étais sûr!... Il a mal tourné, de mauvaises fréquentations l'ont entièrement perverti.... Mais n'en parle pas à sa sœur. Elle voudrait aller le chercher et nous y perdrions une des plus belles joies.... Voici encore, parmi les plus grandes, la Joie-de-voir-ce-qui-est-beau, qui ajoute chaque jour quelques rayons à la lumière qui règne ici....

TYLTYL

Et là, au loin, au loin, dans les nuages d'or, celle que j'ai peine à voir en me dressant tant que je peux sur la pointe des pieds?...

LE BONHEUR

C'est la grande Joie-d'aimer.... Mais tu auras beau faire, tu es bien trop petit pour la voir tout entière....

TYLTYL

Et là-bas, tout au fond, celles qui sont voilées et ne s'approchent pas?...

LE BONHEUR

Ce sont celles que les Hommes ne connaissent pas encore....

TYLTYL

Que nous veulent les autres?... Pourquoi s'écartent-elles?...

LE BONHEUR

C'est devant une Joie nouvelle qui s'avance, peut-être la plus pure que nous ayons ici..

TYLTYL

Qui est-ce?...

LE BONHEUR

Tu ne la reconnais pas encore?... Mais regarde donc mieux, ouvre donc tes deux yeux jusqu'au cœur de ton âme!... Elle t'a vu, elle t'a vu!... Elle accourt en te tendant les bras!... C'est la Joie de ta mère, c'est la Joie-sans-égale-de-l'amour-maternel!...

[Après l'avoir acclamée, les autres Joies, accourues de toutes parts, s'écartent en silence devant la Joie-de-l'amour-maternel.]

L'AMOUR MATERNEL

Tyltyl! Et puis Mytyl!... Comment, c'est vous, c'est vous que je retrouve ici!... Je ne m'attendais pas!... J'étais bien seule à la maison, et voici que tous deux vous montez jusqu'au ciel où rayonnent dans la Joie l'âme de toutes les mères!... Mais d'abord des baisers, des baisers tant qu'on peut!... Tous les deux dans mes bras, il n'y a rien au monde qui donne plus de bonheur!... Tyltyl, tu ne ris pas?... Ni toi non plus, Mytyl?... Vous ne connaissez pas l'amour de votre mère?... Mais regardez-moi donc, et n'est-ce pas mes yeux, mes lèvres et mes bras?...

TYLTYL

Mais si, je reconnais, mais je ne savais pas.... Tu ressembles à maman, mais tu es bien plus belle....

L'AMOUR MATERNEL

Évidemment, moi, je ne vieillis plus.... Et chaque jour qui passe m'apporte de la force, de la jeunesse et du bonheur.... Chacun de tes sourires m'allège d'une année.... A la maison, cela ne se voit pas, mais ici l'on voit tout, et c'est la vérité....

TYLTYL, [émerveillé, la contemplant et l'embrassant tour à tour.]

Et cette belle robe, en quoi donc qu'elle est faite?... Est-ce que c'est de la soie, de l'argent ou des perles?...

L'AMOUR MATERNEL

Non, ce sont des baisers, des regards, des caresses.... chaque baiser qu'on donne y ajoute un rayon de lune ou de soleil....

TYLTYL

C'est drôle, je n'aurais jamais cru que tu étais si riche.... Où donc la cachais-tu?... Était-elle dans l'armoire dont papa a la clef?...

L'AMOUR MATERNEL

Mais non, je l'ai toujours, mais on ne la voit pas, parce qu'on ne voit rien quand les yeux sont fermés.... Toutes les mères sont riches quand elles aiment leurs enfants.... Il n'en est pas de pauvres, il n'en est pas de laides, il n'en est pas de vieilles.... Leur amour est toujours la plus belle des Joies.... Et quand elles semblent tristes, il suffit d'un baiser qu'elles reçoivent ou qu'elles donnent pour que toutes leurs larmes deviennent des étoiles dans le fond de leurs yeux....

TYLTYL, [la regardant avec étonnement.]

Mais oui, c'est vrai, tes yeux, ils sont remplis d'étoiles.... Et ce sont bien tes yeux, mais ils sont bien plus beaux.... Et c'est ta main aussi, elle a sa petite bague.... Elle a même la brûlure que tu t'es faite un soir en allumant la lampe.... Mais elle est bien plus blanche et qu'elle a la peau fine!... On dirait qu'on y voit couler de la lumière.... Elle ne travaille pas comme celle de la maison?...

L'AMOUR MATERNEL

Mais si, c'est bien la même; tu n'avais donc pas vu qu'elle devient toute blanche et s'emplit de lumière dès qu'elle te caresse?...

TYLTYL

C'est étonnant, maman, c'est bien ta voix aussi; mais tu parles bien mieux que chez nous....

L'AMOUR MATERNEL

Chez nous on a bien trop à faire et l'on n'a pas le temps.... Mais ce qu'on ne dit pas, on l'entend tout de même.... Maintenant que tu m'as vue, me reconnaîtras-tu, sous ma robe déchirée, lorsque tu rentreras demain dans la chaumière?...

TYLTYL

Je ne veux pas rentrer.... Puisque tu es ici, j'y veux rester aussi, tant que tu y seras....

L'AMOUR MATERNEL

Mais c'est la même chose, c'est là-bas que je suis, c'est là-bas que nous sommes.... Tu n'es venu ici que pour te rendre compte et pour apprendre enfin comment il faut me voir quand tu me vois là-bas.... Comprends-tu, mon Tyltyl?... Tu te crois dans le ciel; mais le ciel est partout où nous nous embrassons.... Il n'y a pas deux mères, et tu n'en as pas d'autre.... Chaque enfant n'en a qu'une et c'est toujours la même et toujours la plus belle; mais il faut la connaître et savoir regarder.... Mais comment as-tu fait pour arriver ici et trouver une route que les Hommes ont cherchée depuis qu'ils habitent la Terre?...

TYLTYL, [montrant la Lumière qui, par discrétion, s'est un peu écartée.]

C'est elle qui m'a conduit....

L'AMOUR MATERNEL

Qui est-ce?...

TYLTYL

La Lumière....

L'AMOUR MATERNEL

Je ne l'ai jamais vue.... On m'avait dit qu'elle vous aimait bien et qu'elle était très bonne.... Mais pourquoi se cache-t-elle?... Elle ne montre jamais son visage?...

TYLTYL

Mais si, mais elle a peur que les Bonheurs aient peur s'ils y voyaient trop clair....

L'AMOUR MATERNEL

Mais elle ne sait donc pas que nous n'attendons qu'elle!... [Appelant les autres Grandes Joies.] Venez, venez, mes sœurs! Venez, accourez toutes, c'est la Lumière qui vient enfin nous visiter!...

[Frémissement parmi les Grandes Joies qui se rapprochent. Cris: «La Lumière est ici!... La Lumière, la Lumière!...»]

LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [écartant toutes les autres pour venir embrasser la Lumière.]

Vous êtes la Lumière et nous ne savions pas!... Et voici des années, des années, des années que nous vous attendons!... Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-de-comprendre qui vous a tant cherchée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons pas au delà de nous-mêmes....

LA JOIE-D'ÊTRE-JUSTE, [embrassant la Lumière à son tour.]

Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-d'être-juste qui vous a tant priée.... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons pas au delà de nos ombres....

LA JOIE-DE-VOIR-CE-QUI-EST-BEAU, [l'embrassant également.]

Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-des-beautés qui vous a tant aimée... Nous sommes très heureuses, mais nous ne voyons pas au delà de nos songes....

LA JOIE-DE-COMPRENDRE

Voyez, voyez, ma sœur, ne nous faites plus attendre.... Nous sommes assez fortes, nous sommes assez pures.... Écartez donc ces voiles qui nous cachent encore les dernières vérités et les derniers bonheurs.... Voyez, toutes mes sœurs s'agenouillent à vos pieds.... Vous êtes notre reine et notre récompense....

LA LUMIÈRE, [resserrant ses voiles.]

Mes sœurs, mes belles sœurs, j'obéis à mon Maître.... L'heure n'est pas venue, elle sonnera peut-être et je vous reviendrai sans craintes et sans ombres.... Adieu, relevez-vous, embrassons-nous encore comme des sœurs retrouvées, en attendant le jour qui paraîtra bientôt....

L'AMOUR MATERNEL, [embrassant la Lumière.]

Vous avez été bonne pour mes pauvres petits....

LA LUMIÈRE

Je serai toujours bonne autour de ceux qui s'aiment....

LA JOIE-DE-COMPRENDRE, [s'approchant de la Lumière.]

Que le dernier baiser soit posé sur mon front....

[Elles s'embrassent longuement, et, quand elles se séparent et relèvent la tète, on voit des larmes dans leurs yeux.]

TYLTYL, [étonné.]

Pourquoi pleurez-vous?....[regardant les autres Joies]

Tiens! vous pleurez aussi.... Mais pourquoi tout le monde a-t-il des larmes plein les yeux?...

LA LUMIÈRE

Silence, mon enfant....

RIDEAU

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Фрэнсис Бэкон

Без чтения нет настоящего образования, нет и не может быть ни вкуса, ни слова, ни многосторонней шири понимания; Гёте и Шекспир равняются целому университету. Чтением человек переживает века.
Александр Герцен



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